Je papote, je papote et je m'aperçois que je vous ai très peu parlé de ma famille et de notre entreprise. Lorsque Charles-Henri et moi convolâmes en justes noces, il apporta dans la corbeille de mariage la notoriété de ses ancêtres, sa propriété en friche et son château en ruine. Moi, j'y versai ma dot, pas négligeable, et l'entreprise familiale, ce qui nous permit de vivre comme des riches.
A l'origine, l'entreprise était une fabrique de corsets, réputée, créée par un arrière-grand-oncle. Quelques décennies plus tard, je ne sais comment, elle tomba dans l'escarcelle de mon arrière-grand-père. On parla à l'époque de malversation et de spoliation, mais les gens sont jaloux et si méchants. La Société prospéra jusqu'à la première guerre mondiale où le couturier Poiret porta un coup fatal au corset en libérant la femme, puis Dior en inventant le new look. Il nous fallait trouver autre chose. Mon père se diversifia dans les dessous chics et rebaptisa l'entreprise Frivolités. Mais c'est sous la présidence de Charles-Henri qu'eut lieu la véritable révolution. Voyant qu'il ne pouvait plus lutter contre la concurrence portugaise, puis marocaine et à présent chinoise, il commanda à un consultant une étude stratégique de repositionnement de l'entreprise. Les conclusions tombèrent en neuf mots cinglants « changez de produit mais pas de segment de marché ». Au prix de 45.000 euros l'étude, soit 5.000 euros le mot, il aurait été malvenu de ne pas suivre le conseil.
Le génie de Charles-Henri c'est d'avoir cru dans les sex-toys. Il rebaptisa la Société FrivoliToys et jura devant le Conseil d'Administration de devenir le numéro un de tout ce qui vibre, masse et pénètre en Europe. Au début j'étais très gênée d'annoncer dans les dîners en ville que nous fabriquions des godemichés et des vibromasseurs. Jusqu'au jour où je découvris que le sex-toy était chic et branché, un jouet qui se range sagement aux côtés de l'indispensable portable dans le sac Hermès de toute jeune fille de bonne famille. Rien à voir avec la vulgaire sexualité. Il n'est plus tabou de dire qu'on utilise ce vilain petit canard à bec vibrant (version maison ou voyage), ce rouge à lèvre vibro-stimulateur clitoridien (idéal pour massages improvisés), ce petit poisson vibrant aux grands yeux innocents (pour égayer son bain) et autres strings comestibles, lucioles vertes ou dauphins bleus multi-vitesses, waterproof, ergonomiques, inodores et silencieux. Des idées-cadeaux des plus appréciées qu'on trouve dans la boutique rose bonbon de Sonia Rykiel à Saint-Germain-des-Prés, au rayon lingerie du Printemps, dans le catalogue de la Redoute, dans des réunions à domicile (sortes de soirées Tupperware entre femmes libérées) et bientôt en pharmacie. Un phénomène de société quoi ! Hélas, le sex-toy est aussi un produit High-tech. Les investissements en recherche et innovation entraînèrent un besoin pressant en liquidités, d'ou l'entrée majoritaire d'un fond de pension américain dans notre capital. Depuis, certes nous sommes leader du marché, mais plus tout à fait chez nous dans l'entreprise.
Le Billet d'Anne-Sophie.
Nota : L'illustration de cet article provient du blog remarquable http://clarenne.francis.over-blog.com/ qui vient hélas de s'arrêter.